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[En Essonne Réussir] "La croissance intrinsèque est solide"

Publié le 25 Septembre 2023
Dominique Seux, journaliste économique et éditorialiste, était l’invité de la rentrée économique de la CCI Essonne. Nous l’avons questionné sur la situation de l’économie française et sur la conjoncture économique.

 

Un entretien publié dans le magazine En Essonne Réussir de septembre


En 2022, la croissance a atteint 2,5 %. Cette progression est-elle un signe encourageant de résilience de l’économie française?
Ce taux est une bonne surprise au regard de la crise énergétique que l’économie a traversée. Mais en même temps, ce n’est pas totalement une surprise ! Car les ménages, et un peu les entreprises, ont été bien aidés, une nouvelle fois, par l’État. Je pense notamment aux « boucliers » mis en place pour limiter la hausse des prix du gaz et de l’électricité. Je parlerais donc plutôt de résilience, mais un peu en trompe-l’oeil. Au-delà du court terme, ce qui frappe néanmoins depuis trois ans, c’est la bonne résistance de fond des acteurs économiques, des entreprises en particulier. Ces dernières se sont bien adaptées à la conjoncture et les chefs d’entreprise ont bien géré la situation et ont trouvé un bon équilibre dans leur gestion.

 

Les gros chocs sont-ils dernière nous ou doit-on en redouter de nouveaux ?
Ce qui a été frappant en 2022 et au début 2023, c’est que l’économie européenne a su remplacer le gaz russe rapidement et efficacement. Pour autant, d’autres chocs sont devant nous. La transition écologique va coûter cher et est déjà, et sera encore demain un facteur d’inflation. Cette transition stimule l’économie, qui aime les transformations, mais elle est aussi source d’inflation et cela va durer très longtemps. Nous sommes dans un processus que j’appelle « innovation administrée », c’est-à-dire que l’État donne le « la » et dit aux acteurs « il faut changer », en indiquant des directions précises. Par exemple, pour réduire les émanations de CO2 du trafic routier l’État ne laisse pas d’autre choix que la voiture électrique. Il impose une obligation de moyen. L’autre choc à venir c’est celui des milliers de milliards d’euros mis dans l’économie par les banques centrales. On n’a pas fini de les éponger et c’est une cause d’inflation.


Qu’en est-il de la conjoncture internationale marquée notamment par le ralentissement de l’activité en Chine ou les difficultés du voisin allemand ?
L’économie chinoise n’a pas repris son régime de croisière et sa croissance a le hoquet. Avec ce ralentissement, c’est le modèle politique et social qui est remis en cause. Pour tenter de restaurer son crédit, le pouvoir politique chinois essaye de jouer sur le nationalisme. On constate que le modèle chinois donne de plus en plus de place aux dépenses militaires, etc. De leur côté, les États-Unis vont bien. Ils sortent de la période passée sans avoir connu de grosses difficultés et leur taux d’inflation n’est que de 3 %. Enfin, pour l’Allemagne le modèle s’est un peu inversé. Auparavant nous avions une Allemagne très résiliente et se tirant à peu près de tous les chocs et une France les amortissant mais avec un niveau de croissance plus faible. À présent, l’Allemagne souffre davantage que la France. En fait l’économie française est plus tournée vers elle-même, alors que l’économie allemande est beaucoup plus ouverte à l’international et, pour l’heure, c’est un handicap pour elle.


Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, table sur une croissance de 1 % en 2023. Partagez-vous cette prévision ?
N’ayant pas les mêmes informations que Bruno Le Maire, je me garderais bien de faire une prévision. Je note, en revanche, que la croissance intrinsèque est solide. Les acteurs économiques sont en bonne forme, les résultats sont globalement bons et les entreprises ont fait le bon choix de partage de la valeur entre les investissements et les salaires.

 

L'État prévoit de faire 14 milliards d’euros d’économie sur son prochain budget. Est-ce la fin du « quoi qu’il en coûte » ?
Ces économies proviendront de la disparition de certains boucliers et cela va peser un peu sur la conjoncture mais je crois que l’État ne va pas rompre totalement avec le « quoi qu’il en coûte ». Il limite un petit peu les dépenses mais sans aborder un immense tournant dans la rigueur. Je pense que la dette va continuer d’augmenter, que les déficits vont être réduits de manière modérée et que le Gouvernement compte surtout sur la croissance des recettes fiscales pour diminuer ces déficits publics. Pas tellement sur les économies des dépenses publiques qui pénaliseraient les Français. Une seule exception : la réforme des retraites mais elle n’aura d’effets sur les comptes publics que progressivement.


Peut-on raisonnablement espérer voir l’inflation reculer ?
C’est la question la plus débattue parmi les économistes : l’inflation peut-elle revenir entre 0 et 2 % ou rester autour de 3-4 %. Les banques centrales disent qu’elles vont faire redescendre l’inflation autour de 2 % mais mon intuition me pousse à opter pour la seconde hypothèse et ce pour des raisons évoquées précédemment : le coût de la transition écologique et la nécessité d’éponger la masse de liquidités mise dans l’économie depuis dix ans.


On ne note pas de desserrement du crédit et cela risque de durer tant que l’inflation est forte. Cela peut-il finir par nuire à l’investissement ?
C’est déjà le cas et cela nuit à l’investissement des ménages. Pour les entreprises il y un risque mais il ne s’est pas encore totalement matérialisé et il n’y a pas de chute de l’investissement des entreprises. Cela dit je pense que les banques centrales devraient arrêter leurs politiques actuelles et être plus prudentes sur les hausses de taux. On a besoin de réfléchir au taux d’inflation que l’on veut dans la zone euro.


Propos recueillis par E. Vilmos

 

BioExpress

Dominique Seux est un journaliste économique, directeur délégué du quotidien Les Echos depuis dix ans. Ancien élève de l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po) , il est également l’éditorialiste économique de la matinale de France Inter depuis de nombreuses années. Il intervient par ailleurs régulièrement à la télévision comme dans « C dans l’air » (France 5) et LCI ou encore dans les colonnes du premier quotidien régional, Ouest-France.